BoDoï, la newsletter : Anouk et anorak
Que lit-on cette semaine ? Et qu'évite-t-on ? L'équipe de BoDoï vous dit tout.
En trois mots
Ou comment tenter de vous convaincre de lire un album en moins de temps qu'il ne faut pour dire "Mille milliards de mille sabords".
Par Benjamin Roure.
MÉMORISATION. Depuis son accident, Marie a des pertes de mémoire. Ce qui précède les 56 dernières heures est flou voire carrément effacé. Difficile dès lors de mener son activité militante (elle tente de sauver ce qui reste de banquise au pôle Sud, en envoyant 2 auteurs de BD documenter la situation sur place) et sa vie de famille. Et ce alors que le monde part en lambeaux, entre dérèglement climatique, montée de l’intégrisme catholique, contestation des faits scientifiques, manipulation médiatique, dérive autoritaire du pouvoir politique…
RÉFLEXIONS. Ce premier tome d’un diptyque d’anticipation ressemble tellement au monde d’aujourd’hui, avec juste quelques curseurs à peine poussés, qu’il ne devrait pas laisser de glace. Mais Benjamin Adam – qui avait déjà donné dans la SF solidement documentée dans Soon, avec Thomas Cadène – double sa fiction d’une réflexion subtile sur l’importance de l’imaginaire dans la survie de l’humanité, qui pourrait bien s’effacer comme la mémoire de Marie…
COLLECTION. Ce qui se pose sans doute comme l’album le plus ambitieux et le plus abouti de son auteur ouvre de la plus belle des manières – aux côtés de l’épatante série jeunesse Foudroyants – la nouvelle collection “Charivari”, dirigée par Pauline Mermet chez Dargaud. De bon augure pour la suite.
Inlandsis Inlandsis T1 La glace. Par Benjamin Adam. Dargaud, coll. Charivari, 296 p., 26,95 €.
Une histoire, et au lit !
Focus sur une publication destinées aux enfants.
Par Romain Gallissot.
Ce début d'année 2025 est décidément riche en émotions pour Anouk Ricard ! Après avoir été désignée Grand Prix 2025 à Angoulême par ses pairs, véritable consécration dans la profession, ce n’est pas maintenant pas un, mais trois heureux événements qu'elle illustre joyeusement chez son éditeur 2042. Dans cet album décalé, écrit par Céline Claire, on suit les péripéties de trois beaux bébés en quête d'identité et fans de barbecue. Barbapapa, crocodile ou hirondelle, page après page, le lecteur se fait complice et avec malice il se questionne et enquête avec eux. Comme souvent, l’histoire se termine mal pour le pauvre loup. Mais on ne vous en dit pas plus, à vous d’aller découvrir la chute : elle est savoureuse.
Trois beaux bébés. Par Céline Claire et Anouk Ricard. Éd. 2042, coll. 4048, 32 p., 16 €.
Un auteur, une planche
Commenter une planche, c’est commencer à entrer dans une œuvre.
Gaël Henry décrypte pour BoDoï une double-planche de son envoûtant et malaisant Terrible.
Propos recueillis par Rémi I.
“L’album comporte trois doubles pages, une par chapitre, chacune avec une signification différente. La première est pensée pour être impressionnante ; la deuxième évoque un sentiment de vide et de solitude. Elles se sont naturellement imposées dans le récit. En revanche, la dernière (celle-ci) a eu une construction plus singulière !
C’est mon éditrice qui a eu l’idée de cette grande coupe du château dans laquelle navigueraient les héros. Elle m’a lancé cette idée comme un défi pour me pousser hors de ma zone de confort. J’ai accepté le challenge, mais comme sa réalisation me faisait un peu peur, j’ai préféré la dessiner une fois l’album terminé.
La coupe est un procédé couramment utilisé dans l’illustration jeunesse, mais il m’est peu familier et tranche avec le style plus « classique » de la BD. Je l’ai donc abordé comme un jeu : détourner les codes du conte jeunesse en y insérant un humour corrosif (le cochon, la salle de torture…). Le plus complexe a été de maintenir fluidité et lisibilité dans le déroulement des actions, que ce soit dans le dessin ou la couleur. Mais quelle satisfaction quand j’ai réussi à créer une boucle avec les dialogues !
Je suis assez fier du résultat, car, au final, on obtient une scène originale qui se distingue du reste de l’album tout en restant fidèle à l’esprit de la BD !”
Terrible. Par Gaël Henry. Dupuis, 144 p., 25 €.
Radar alternatif
Un regard perçant sur la bande dessinée indépendante et alternative.
Par Mathilde Loire.
On est attiré par une couverture lumineuse, tendre, chatoyante. Dans le rabat, une carte introduit la commune de Bouetteville. Pour nous plonger dans l'univers d'une histoire pour enfants ? Pas vraiment ; le mouchoir prévu à la fin pourrait d'ailleurs nous avertir…
Ce récit autobiographique réalisé au crayon conte l'histoire d'une jeune mère atteinte d'une maladie incurable. Une fleur pousse dans son corps, prend toute la place, envahit ses organes ; on opère, ça ne suffit pas. Momm n'aime pas ce qu'elle devient, se fait toute petite, au risque de disparaître. Sa fille Touffe essayer de profiter au mieux de leurs derniers moments ensemble.
Traiter de la maladie, de deuil et de résilience, dans un univers aussi mignon et joliment bizarre que celui-ci pourrait sembler risqué. Catherin n'évite rien : ni les moments peu ragoûtants, ni la taille de sa tristesse. Mais fantaisie et douceur portent cet album empli d'amour, et en font une lecture importante sur la fin de vie.
Momm. Par Catherin. Pow Pow, 248 p., 26 €.
Non merci.
Un album qu’on aurait mieux fait de ne pas lire.
Par Benjamin Roure.
Gone, de Jock. Delcourt, 168 p., 20,50 €. Traduction : Enzo Pirat.
Abi, 13 ans, est une habituée du chapardage dans les cuisines des vaisseaux de passage. Une question de survie pour cette ado qui doit soutenir sa mère enceinte. Un jour, elle n’a pas le temps de descendre de la navette et la voilà partie pour un voyage lointain. Mais dans l’espace, le temps se dilate, et le périple durera des années…
Intéressant concept. Qui devrait donner le temps à l’héroïne d’arpenter mille mondes inconnus et de renverser l’ordre établi (un obscur capitalisme profitant aux riches touristes, sur le dos, ô surprise, du prolétariat). Mais non, son terrain de jeu se limitera aux entrailles du vaisseau. Au départ, c’est un sympathique décor labyrinthique qu’on découvre peuplé de rebelles en pagaille. Hélas, on a vite fait le tour de ces couloirs de boulons et de câbles. Et ce n’est pas le délire mystique d’une poignée d’illuminés, aux allures de soirée mousse rose bonbon, qui apportera une quelconque excitation…
Cette terne épopée de SF jouit pourtant de quelques jolies pages car Jock (Snow Angels) possède un trait racé fait pour ces ambiances. Mais ses carences d’écriture sont trop flagrantes pour tenir la longueur : trame creuse, intentions des protagonistes peu crédibles, rebondissements mous, et dialogues faibles (la traduction ne semble pas aider), on s’ennuie sec. On laissera donc Gone à quai.
Conseil d’ami
Le coup de cœur d’une autrice ou d’un auteur de bande dessinée pour un album.
Sole Otero, autrice du très réussi Walicho, vous conseille La Vie pleine de joie du triste chien Cornelius, de Marc Toricès (Actes Sud). Traduction: Fernanda Rivera, Karine Louesdon et José Ruiz-Funes.
"C'est l'histoire d'un personnage qui est timide, pas très courageux, peu sûr de lui et embarrassé par la honte. Et, comme dans une comédie noire, tout va de pire en pire dans sa vie. J'ai commencé par la lire sur Instagram. Dans ce qu'y postait l'auteur, le personnage était le même, mais les histoires ne semblaient pas connectées : une fois face au livre, on se rend compte que tout l'était bel et bien. L'histoire est très intéressante, l'auteur multiplie les tons et les styles. C'est un peu ce que j'ai essayé de faire dans Walicho, c'est aussi pour cela que ça m'a intéressée. Mais c'est très différent. C'est un style vintage que j'aime beaucoup, et l'aspect parodique, l'humour noir, m'ont beaucoup plu. Je suis contente que ça ait été traduit en français !"
Propos recueillis par Mathilde Loire
À (re)lire sur le site….
Tous nos articles sur le 52e Festival d’Angoulême : palmarès officiel, reportages dans les expos Superman, Posy Simmonds, “L’Atelier des sorciers” ou “La BD règle ses contes”… Tout est là.