BoDoï, la newsletter : avez-vous le vertige ?
Que lit-on cette semaine ? Et qu'évite-t-on ? L'équipe de BoDoï vous dit tout.
En trois mots
Ou comment tenter de vous convaincre de lire un album en moins de temps qu'il ne faut pour dire "Mille milliards de mille sabords".
Par Rémi I..
Petite Forêt. Par Daisuke Igarashi, Delcourt/Tonkam, 352 p., 16,99 €. Traduction : Xavier Hébert et Naomiki Satô.
INTIME. (Re)connu pour sa série maritime Les Enfants de la mer (on vous en parlait ici, là, puis encore là, alors si vous ne l’aviez pas vue passer, c’est que vous avez encore de belles choses à découvrir sur notre site ;p), Daisuke Igarashi se livre plus que jamais dans Petite Forêt. Ce récit autofictionnel à peine camouflé est loin de l’onirisme et de la fantasmagorie qu’on lui connaît. Entrecoupées de notes de l’auteur dans lesquelles il livre spontanément des bribes de son vécu, toutes les histoires sont tirées de sa propre expérience de la faune et de la flore locales, mais aussi de son appétence pour la gastronomie.
NATURE. Manifestement attiré par l'environnement naturel depuis ses toutes premières publications, Daisuke Igarashi a fait le grand saut et est parti vivre à Koromogawa dans la préfecture d’Iwate, au nord de l’île principale du Japon. Son objectif : découvrir la réalité de la vie dans la campagne profonde. On suit donc son avatar de papier féminin se promener, travailler la terre, cultiver sa propre rizière, observer la nature environnante avec un plaisir renouvelé.
NOURRITURE. En plus de nous conter son quotidien rural, le mangaka tient à partager avec le lecteur son goût pour la cuisine. Chaque chapitre est donc l’occasion de découvrir un plat, une recette, une trouvaille culinaire assurément dépaysante. Car ça cuisine, ça déguste et ça découvre des saveurs à chaque instant durant les 350 pages de ce volume. Notamment pour nous, lecteurs occidentaux, qui ne connaissons pas forcément la majorité des ingrédients et plats concoctés : amazake, confiture de goumis, fleurs de pétasite, fruits d’akebie… de quoi donner envie d’aller faire un saut au Japon et en cuisine !
Une histoire et au lit !
Focus sur un album illustré pour enfants.
Par Benjamin Roure.
Aie ! Nono s’est coincé le doigt entre deux pages, dans le pli du livre. Impossible de bouger. Et si personne ne vient l’aider ? Il va rester là toute la nuit, toute la semaine, toute la vie ? Zapper l’école, dormir debout, grandir, devenir adulte ? Cet album minimaliste pour tout petits est plein d’une fantaisie aux accents délicieusement surréalistes : page après page, des petits lapins viennent construire un mini monde drôle et réconfortant autour du garçon. Comme une cabane ou un câlin. Et si Nono… se faisait une place chez vous ?
Et si Nono…. Par Inbar Heller Algazi. Les Fourmis rouges, 32 p., 13,50 €.
Non merci.
Un album qu’on aurait mieux fait de ne pas lire.
Par Le Libraire grognon.
Vertigéo. Par Lloyd Chéry et Amaury Bündgen, d’après une nouvelle d’Emmanuel Delporte. Casterman, 56 p., 14,95 €.
La SF, comme la plupart des univers fantastiques, ne peut être une excuse pour raconter n’importe quoi sous prétexte que ”ta gueule, c’est le futur”. Pour être crédible et fonctionner, un univers a besoin de règles, pas forcément réalistes, mais au moins cohérentes. Un fondement que Vertigéo jette dans le vide aussi rapidement que ses personnages…
La BD est tentante pourtant. La couv’ est plutôt réussie, l’impression de vertige et de démesure tout comme le destin funeste des hommes y sont efficacement mis en scène. En feuilletant, on ne peut que saluer les dessins de Amaury Bündgen, son noir et blanc et ses décors toujours aussi puissants, son chara design très intéressant, malgré des visages étranges et inégaux.
Les problèmes commencent à la lecture… Vertigéo s’ouvre sur une intro assez basique (cataclysme indéfini, quasi extinction de l’humanité) et paresseuse dans sa mise en place en voix off. Une mise en contexte plus organique était pourtant possible. On aurait même pu (dû ?) se passer complètement de contexte, car savoir que l’humanité a frôlé l’extinction rend l’histoire de base absolument pas crédible.
Pour résumer, il s’agit d’une course vers le haut pour atteindre un potentiel Eden au-delà des nuages (sauf que le soleil est un danger mortel, connu des hommes) mise en œuvre par une plèbe ouvrière ultra spécialisée (chasseur, bâtisseurs, ingénieurs) sous la houlette d’une caste dirigeante mi-religieuse mi-impériale ultra violente. Si l'organisation sociale “loi du plus fort” semble aller de soi, ne cherchez aucune autre explication à l’origine des matières premières, de la nourriture ou de la technologie (hallucinante dans un monde en ruine). Ne cherchez pas non plus de raison valable à la politique nataliste : le nombre de mort par minute ne peut pas être compensé par la naissance de quelques enfants dont la conception est planifiée tous les jamais... Je ne spoilerai pas la fin, mais cette politique de gestion de la population est au cœur de la résolution de l’intrigue, qui devient alors risible. Difficile de critiquer plus avant les trous béant du scénario sans flinguer les quelques surprises d’un titre à la mise en scène poussive et peu palpitante.
La couv’ qui claque
Par Benjamin Roure.
Jouer au loup. Par Kuniko Tsurita. Traduction et postface : Léopold Dahan. Atrabile, 264 p., 25 €.
Ce second volume de l’anthologie de Kuniko Tsurita, après L’Envol, se pare d’une aussi belle couverture que le premier. Délicatement psychédélique avec ses motifs aux couleurs flashy, pleine d’émotion contenue avec son personnage central dont ne sait s’il compte au loup ou s’il pleure : difficile de rester insensible à cet écrin. Et ça tombe bien, ce qu’il renferme est peut-être moins clinquant, mais pas moins intéressant. Il s’agit là d’une sélection d’histoires courtes, publiées entre 1968 et 1981, d’une des premières femmes mangakas de la revue Garo, décédée prématurément à l’âge de 37 ans. On y retrouve son trait fin, son goût pour l’onirisme et l’étrange, sa sourde inquiétude, ses références à la culture occidentale… Une singulière découverte à la fabrication impeccable.
Radar alternatif
Un regard perçant sur la bande dessinée indépendante et alternative.
Par Frédéric Hojlo.
Gratin de chat. Par Adèle Maury, L’Employé du moi, 80 pages en N&B, 18 €.
Une mère et ses deux filles adolescentes passent vaguement le temps dans leur maison. Les repas, les courses et les visites du petit ami de l’aînée rythment l’été. L’attention de la mère se focalise sur le chat de la famille. Mais ce Chacha, à la physionomie et au comportement étranges, pas vraiment félin ni tout à fait humain, n’est pas avare de fantaisies ni de mesquineries.
Peu à peu, Chacha cristallise les tensions. Les sœurs, pas tendres entre elles mais très complices, se sentent moins importantes que le chat aux yeux de leur mère. Elle-même s’attriste du peu d’affection et de reconnaissance que lui renvoie l’animal. Quant au petit ami, il fait les frais, sans le comprendre, d’une ambiance de plus en plus délétère. Jusqu’à ce qu’un évènement inattendu change la donne.
Adèle Maury, pour son premier récit long, signe chez L’Employé du moi une bande dessinée audacieuse, construite sur un fil ténu. Quelques dialogues et un dessin âpre d’un noir et blanc charbonneux lui suffisent pour explorer les relations entre ses personnages. Et, l’air de rien, elle donne à comprendre des sentiments, entre amour, humour et cruauté, pourtant si difficiles à retranscrire. Pas étonnant qu’elle ait été lauréate en 2020 du Prix « Jeune talent » au Festival d’Angoulême et en 2024 du Prix « CurioSophie » au Festival de Tonnerre.
On soutient !
Chloé Wary est l’autrice de Saison des Roses et Rosigny Zoo. Et elle est en colère. La ville de Champigny-sur-Marne lui avait commandé une fresque, une longue peinture de 23 mètres sur le mur d’un parking, pleine d’énergie et de couleurs. Et d’engagement. Sans doute un peu trop au goût de la mairie : car la mention “Justice pour Naël” semble l’avoir hérissée. Ainsi, trois jours après l’inauguration, la fresque a été intégralement recouverte d’une peinture unie. Disparue, effacée la fresque, sans prévenir, sans discuter.
Après avoir largement médiatisé l’affaire, Chloé Wary, soutenue par le Syndicat des auteurs, envisage une action en justice pour faire reconnaître l’atteinte à son droit moral et à sa liberté artistique. Une pétition de soutien de cette action est en ligne.
Les 3 albums témoignages du moment
Vous pouvez les acheter les yeux fermés (mais n’oubliez pas de les rouvrir).



Sang neuf. Par Jean-Christophe Chauzy (Casterman).
Mon infractus (quand j’étais DJ). Par Hervé Bourhis (Glénat).
Racines. Par Lou Lubie (Delcourt).
Suivez-la !
Un extrait de l’Insta de Natacha Le Fauconnier, alias bd_fil.
American Parano #1 Black House. Par Hervé Bourhis et Lucas Varela, Dupuis, 64 p., 16,50 €.
Ci-gît un polar qui prend place à San Francisco en 1967.
Kim Tyler est fraîchement sortie de l'école de police. La jeune inspectrice enquête sur son premier dossier : le meurtre d'une étudiante, dont le corps a été affublé d'un signe sataniste. Elle fait équipe avec un lieutenant rôdé, ancien ami de son père, du nom d'Ulysses Ford.
Le duo suit la piste d'un certain Yeval. Un personnage complexe, qui se situe à la croisée des chemins entre gourou de Lucifer, charlatan mercantile et bon père de famille (il a d'autres talents).
Le personnage de Kim est intéressant : une femme dans la police, à l'époque, ça n'existait quasiment pas… Ou plutôt, il y avait des femmes dans la police, mais elles n'étaient pas « policières » puisque cantonnées à certaines tâches administratives, et ce, jusque dans les années 1970. (Ma source : un article de recherche de Line Beauchesne (1999) : "Les recherches en Amérique du Nord sur l'entrée des femmes dans la police : les difficultés d'intégration dans une culture organisationnelle masculine").
Bientôt sur le site….
Ce week-end s’ouvre le festival des Rendez-vous de la BD d’Amiens. BoDoï y sera et vous dévoilera le contenu de ses alléchantes expositions. Au programme, Guillaume Singelin, Ana et l’Entremonde, La Nef des fous, Bienvenue à Bibiville…