BoDoï, la newsletter : ce serait pas l'heure des listes d'été ?
Que lit-on cette semaine ? Et qu'évite-t-on ? L'équipe de BoDoï vous dit tout.
La BD, dont BoDoï, emmerde le RN
Par Benjamin Roure.
C’est dimanche que pas mal de choses cruciales se jouent en France. Mais vous êtes fort probablement au courant. BoDoï souscrit à l’appel des autrices et auteurs de bande dessinée pour contrer le RN et ses idées, publié sous le titre sans équivoque “La BD emmerde le Rassemblement national”. En voici un extrait:
“Nous, scénaristes, dessinateurs et dessinatrices, coloristes, lettristes, graphistes, traductrices et traducteurs, éditeurs et éditrices, libraires, refusons la fatalité de devoir vivre et travailler dans une société promouvant les valeurs du Rassemblement National et des autres partis de l’extrême droite : la haine et la peur de l’autre, le racisme, l’antisémitisme, la xénophobie, le sexisme, la détestation des LGBTQIA+, des porteurs et porteuses de handicap ou de maladies physiques ou psychiques, des femme et de la liberté de disposer de leurs corps.”
Pour rejoindre les quelque 1200 signataires, c’est par ici. Et n’oubliez pas d’aller voter.
En trois mots
Ou comment tenter de vous convaincre de lire un album en moins de temps qu'il ne faut pour dire "Mille milliards de mille sabords".
Par Natacha Lefauconnier.
Le Bruit de l’eau. Par Alain Bujak et Laurent Bonneau. Futuropolis, 144 p., 21 €.
AUTHENTIQUE. Dans la nuit du 2 au 3 octobre 2020, la tempête Alex a provoqué une crue et des éboulements de montagne qui ont dévasté la vallée de la Roya, laquelle s’étire le long de la frontière italienne, dans les Alpes maritimes. Les auteurs se sont rendus sur place pour écouter les témoignages des habitants – pêcheur, berger, moniteur de canyoning… – et le bruit de l’eau, qui n’est plus le même depuis le drame.
ARTISTIQUE. Les auteurs se mettent en scène dans ce reportage où ils cheminent à la croisée des arts. Loin des médias focalisés sur les chiffres, Laurent Bonneau crée, avec ses pinceaux et ses superbes contrastes de couleurs, « une relation poétique et harmonieuse avec ce paysage de montagne », estime Alain Bujak. Lui-même est photographe : ses clichés nous ramènent au réel. Insérés entre les dessins à la beauté onirique, ils provoquent un mini électrochoc : cela est vrai, cela a existé.
ÉCOLOGIQUE. Tous deux anciens lauréats du Prix Tournesol de la BD écologique, les auteurs ont ici à cœur de documenter les conséquences du réchauffement climatique. Pour élargir leur propos, ils offrent l’épilogue à l’écrivain et chercheur Camille de Toledo, qui explique l’idée de reconnaître les valeurs, les besoins et les droits des entités naturelles. Une perspective vertigineuse, mais ô combien nécessaire.
Un auteur, un lieu
Parce que certains endroits en disent long sur une personnalité ou une œuvre.
Par Marc Lamonzie.
Hervé Bourhis chez Total Heaven, à Bordeaux
“On est chez Total Heaven, rue de Candale à Bordeaux. C’est la boutique de Babouche et Martial. C’est clairement un des meilleurs disquaires de France. Pour le choix, pour l’accueil. Et puis, comme chez les anciens et bons disquaires, il y a une platine à dispo pour écouter au casque les albums. C’est surtout un lieu culturel très important de Bordeaux, au même titre que la librairie La Mauvaise Réputation. Ce sont des lieux de rencontres : des réseaux sociaux, en vrai.”
“Avec Martial, on mixe en duo, mais on va aussi boire des coups ensemble. On se connaît très bien et on parle de plein de choses, pas uniquement de musique. On refait le monde chaque fois qu’on se voit ! Et puis c’était une des premières personnes à venir me voir après mon accident cardiaque. C’est vraiment un truc qui touche.” [il a d’ailleurs postfacé sa BD “Mon infractus”]"
“J’ai dédicacé Le Petit Livre rock ici dans les années 2007-2008, et Kim a chanté des chansons, et de là est née mon amitié avec Martial. Après, nous avons fait des battles de 45 tours dans le cadre de L’Escale du livre, entre les auteurs de BD et les disquaires, en mode « DJ ennemis ». Et puis après on a formé notre duo, et cela dure depuis dix ans.”
À (re)lire sur le site : l’interview d’Hervé Bourhis.
Une histoire et au lit !
Focus sur un album illustré pour enfants.
Par Benjamin Roure.
Les Plus belles vacances de Mini-Taupe. Par Sang-Keun Kim, adaptation de Lim Yeong-hee. Éd. Sens dessus dessous, 56 p., 13,90 €.
Les éditions Sens dessus dessous (groupe Delcourt) poursuivent la publication de l’œuvre de Sang-Keun Kim, après les très beaux et doux Bonnes nuits et Qui se cache dans la grotte?. Et c’est tant mieux, car l’auteur coréen propose des récits tendres et lumineux, propices à l’émerveillement des 4 ans et plus. Ici, il injecte aussi pas mal d’humour dans le voyage de sa Mini-Taupe, qui préfère aider une tortue à regagner la mer que de s’entraîner à creuser des galeries. Finalement, elle creusera pas mal, et découvrira le monde en faisant d’éclatantes bêtises ! Un joli album classique, plein de rire et d’émotion.
Non merci.
Un album qu’on aurait mieux fait de ne pas lire.
Par Benjamin Roure.
Majo no Michi #1. Par Tony Concrete. Dargaud/Combo, 288 p., 13,50 €.
De jeunes sorcières à vélo, luttant contre les atteintes à la nature en périphérie de Strasbourg, dans un monde encore plus libéral que le nôtre, sous la forme d’un manga à la française : franchement, on aurait pu se prendre au jeu. Mais – car il y a évidemment un gros, un énorme MAIS – rien ou presque ne fonctionne dans ce premier tome dont la morale est “le béton, c’est pas bon”. En voici une liste presque exhaustive.
Le contexte : on ne nous explique jamais (ou très mal) d’où viennent les pouvoirs de Vera et Mary, ni comment ils fonctionnent vraiment, ni quel est ce fichu serment qu’elles ont prêté. Du coup, on se fiche de leur destin assez vite.
Les dialogues : abondant, poussif, mais creux, le texte ralentit l’action inutilement, et n’est guère subtil quand il s’agit de faire parler les émotions.
Le dessin et la mise en scène : anatomies aléatoires, cadrages bizarres, ombres brouillonnes, décors corrects mais au niveau de détail inconstant, découpage peu réfléchi… Ça ne tient pas la route.
Le titre : il est en japonais. Mais pourquoi ???
Les rebondissements : si je vous dis que l’artefact le plus excitant de ce premier tome est un hand spinner (si comme l’héroïne, vous ne vous souvenez pas de cet objet absurde, allez faire un tour sur Wikipédia), ça pose l’enjeu, non? Et sans trop spoiler (mais un peu quand même), la fameuse maquette secrète qui est cachée jusqu’à la dernière page n’est en réalité qu’un pauvre fil de laine traversant trois bouts de tissu éponge…
En conclusion : la collection Combo des éditions Dargaud était, sur le papier, le lancement le plus excitant de l’année, avec son idée de proposer des récits pour jeunes adultes, à la croisée des genres narratifs, BD, mangas, animes, jeux vidéo... Hélas, le démarrage est assez laborieux, à l’image de ce début de série ni fait ni à faire… On ne désespère pas pour la suite, mais la déception est réelle.
Radar alternatif - spécial été
Un regard perçant sur la bande dessinée indépendante et alternative, à travers 12 titres à glisser dans sa valise.
Par Frédéric Hojlo.
· Absurd Comics. Par Robert Crumb, collection Kim, Cornélius, 32 p. en N&B, 11 €.
On présente parfois Robert Crumb comme le « pape de l’underground » : quand on connaît l’artiste et son œuvre, c’est absurde. Mais ce n’est pas pour autant que cela le dérangerait, lui qui signa entre 1966 et 1981 des strips absurdes. Ces dessins automatiques sont rassemblés dans le 6e ouvrage de la collection Kim des éditions Cornélius et constituent une porte d’entrée dans l’œuvre et le cerveau du dessinateur américain.
· Come over Come over. Par Lynda Barry, Çà et là, traduction de Fanny Soubiran, 128 p. en N&B, 16 €.
Un peu méconnue en Europe, Lynda Barry est l’une des plus importantes autrices de BD américaines. Les éditions Çà et là entreprennent – et il faut les en remercier – de publier une anthologie de sa mythique série Ernie Pook’s Comeek, qu’elle a dessinée pendant presque 30 ans. À travers la voie et le regard d’une adolescente, Lynda Barry offre un portrait social des États-Unis d’une rare finesse, drôle, cruel, et touchant.
· Extra-Végétalia (partie 2). Par Gwénola Carrère, Les Requins Marteaux / Super Loto Éditions, 128 p. couleurs, 26 €.
Gwénola Carrère poursuit et conclut sa libre adaptation du roman féministe Herland de Charlotte Perkins Gilman. Dans ce conte fantastique, la dessinatrice propose un voyage hors du monde où les formes et les couleurs résonnent avec l’ambiance éthérée et le propos utopique. C’est beau, c’est perturbant, et c’est éminemment politique.
· Féroce. Par Wandrille Maunoury, Flûtiste, 112 p. couleurs, 23 €.
Une jour sans fin écrit par Freud et dessiné par Dali : c’est ce que propose Wandrille Maunoury dans sa bande dessinée entièrement réalisée au stylo-bille et au feutre. D’abord obscure, presque opaque, l’histoire de son personnage condamné à explorer chaque jour la même chambre se déploie ensuite en rhizomes quasi deleuziens. L’auteur y associe un maelström visuel à un onirisme fascinant, ne craignant pas, et à raison, de dérouter son lecteur.
· L’Interdimensionnelle, Livre I. Par Florian Huet, La Poinçonneuse, 176 p. couleurs, 29 €.
Création au long cours d’abord publiée sous forme de fanzines, L’Interdimensionnelle est une œuvre ambitieuse, impressionnante et par bien des aspects innovante. Livre-monde aux références multiples, de Philip K. Dick à William S. Burroughs, il renouvelle radicalement la science-fiction tant par sa structure narrative, aussi intelligente que complexe, que par ses graphismes. Encore inachevée, L’Interdimensionnelle est peut-être l’œuvre d’une vie pour Florian Huet.
· La Panne. Par Roxanne Bee, Collection RVB, 4.5 €.
Une exception dans cette sélection : voici une bande dessinée à lire sur écran ! Comme tous les titres de la Collection RVB, La Panne est une BD numérique interactive, où le lecteur peut jouer un rôle dans le déroulement du récit ou dans l’ordre de sa découverte. Roxanne Bee, à l’instar de Georges Perec dans La Vie mode d’emploi, y explore un immeuble, donnant à découvrir ses habitants et dévoilant les apparences, non sans un certain humour noir.
https://collectionrvb.com/lapanne
· Monsieur Pinpon. Par Stanislas, Les Rêveurs, 64 p. en N&B, 20 €.
Stanislas est l’un des plus dignes héritiers d’Hergé et de Chaland : d’une ligne claire parfaite, il invente des personnages et des aventures fantaisistes et souvent poétiques. Se réappropriant un Monsieur Pinpon inventé par L’Association, il régale cette fois le lecteur avec ses 55 bandes de 3 cases. Usant d’une grande variété de type d’humour, ne ménageant pas son personnage, Stanislas se coule avec aisance et élégance dans le moule du strip à l’ancienne.
· Mycelium Wassonii. Par Brian Blomerth, Rackham, traduction de Sophie Jouffreau, 224 p. couleurs, 32 €.
Nul besoin de consommer quelques champignons hallucinogènes pour apprécier cette bande dessinée : les dessins de Brian Blomerth suffisent amplement pour troubler l’esprit et le regard. Son récit part néanmoins de la véritable histoire de Valentina et R. Gordon Wasson, un couple de mycologues américains qui a révolutionné l’attention portée aux champignons psychoactifs. Compositions incroyables et couleurs vives font croire à un trip de haut vol, mais Brian Blomerth a sa rigueur et s’appuie sur une solide documentation.
· Ready, Fight ! Par Jan Soeken, Misma, 156 p. couleurs, 14 €.
On insère une pièce dans la machine, à l’ancienne, et « Ready, Fight ! », le jeu démarre. Taloches monumentales, jaillissements d’hémoglobine et retournements de situation rythment les combats imaginés et dessinés par Jan Soeken. Nadal contre une oie, Poutine contre le Bigfoot ou encore Michael Myers contre Michael Jordan : c’est con, c’est trash, c’est drôle, et ça ne pouvait qu’être édité par Misma !
· Travaux publics. Par Yûichi Yokoyama, Matière, traduction de Céline Bruel, 120 p.en N&B, 24 €.
Yûichi Yokoyama est peut-être l’auteur le plus représentatif du catalogue des Éditions Matière : la forme fait le fond. Dans Travaux publics, l’artiste japonais pose les fondations de son univers, où les lignes, les masses, les êtres et les choses se confondent et se mêlent pour offrir une nouvelle vision du monde. Cette édition anniversaire – l’ouvrage a 20 ans – est augmentée de trois récits et de photographies prises par l’auteur, raisons supplémentaires de s’y plonger.
· Un Amour de prof. Par Florence Dupré la Tour, coll. BD cœur, Le Monte-en-l’air, 92 p. couleurs, 12 €.
On connaissait la collection BD cul, née chez Les Requins Marteaux et reprise par Le Monte-en-l’air, il y a maintenant la collection BD cœur ! Et c’est la talentueuse Florence Dupré la Tour qui inaugure cette série de « romances d’auteur ». Son Amour de prof, drôle et bien senti, raconte la vie d’un prof de BD triste et aigri, parfait boomer, transformée par une idylle imaginaire : le miracle de l’amour ?
· Une Bonne rentrée. Par Margot Soulat, The Hoochie Coochie, 152 p. couleurs, 23 €.
The Hoochie Coochie vient de sauver sa peau, au moins pour cette année, et ce n’est pas dommage ! Quand on lit le premier livre de Margot Soulat, on peut se dire que la disparition d’une telle maison d’édition créerait un gros manque. Cette bande dessinée, dont le titre est à la fois une promesse et une menace, révèle une finesse d’écriture, une liberté de ton et une audace graphique : à lire fin août certes, mais à ne pas laisser passer !
Généalogie potentielle d’un album
Une BD face à trois œuvres avec lesquelles elle entretient un lien de parenté, pour mieux la situer sur la carte de la pop culture.
Par Guillaume Regourd.
Hitomi vol #1. Par H.S. Tak et Isabella Mazzanti, tradution Benjamin Viette. Urban Comics, 144 p., 20 €.
Shogun. Comme le roman de James Clavell, brillamment adapté récemment à la télé, Hitomi se déroule fin XVIe-début XVIIe. Le Japon féodal du shogunat et ses rigidités politico-sociales, cadre idéal pour raconter l’émancipation de son personnage-titre, une orpheline de basse extraction se rêvant guerrière.
Blue Eye Samurai. Si Hitomi désespère de savoir manier le sabre, c’est pour pouvoir défier dans l’honneur celui qui a assassiné ses parents : le célèbre samouraï noir Yasuke, figure historico-légendaire qui n’en finit pas de fasciner. Elle le convainc de devenir son maître. Comme Mizu, le personnage principal de Blue Eye Samurai, la jeune femme attend son heure, mais saura canaliser un peu mieux sa rage que dans la très sanglante série animée Netflix.
Lone Wolf & Cub. Il y a dans Hitomi de la violence mais aussi de la douceur, à l’image du dessin délicat d’Isabella Mazzanti. Au contact de Yasuke, la revêche apprentie s’adoucit, et le Faucon et la Panthère finissent par former un duo qui n’est pas sans rappeler Ogami Itto et son jeune fils dans la saga Lone Wolf & Cub. Le scénariste H.S. Tak voulait humaniser le mythe Yasuke, il a surtout donné vie à une belle héroïne de fiction.
Cet été sur le site….
Toujours nos critiques quasi quotidiennes et bientôt des interviews de Marie Spénale et Jean Crémers… À bientôt !