BoDoï, la newsletter : chat, chien, cheval et Colomiers !
Que lit-on cette semaine ? Et qu'évite-t-on ? L'équipe de BoDoï vous dit tout.
En trois mots
Ou comment tenter de vous convaincre de lire un album en moins de temps qu'il ne faut pour dire "Mille milliards de mille sabords".
Par Maxime Gueugneau.
REBELOTE. Anne Simon reprend le fil des Contes du Marylène, fresque retraçant les luttes de pouvoir et les combats de société rappelant – un tout petit peu – les nôtres (lire son interview de 2020 sur BoDoï). Henry, James et les autres n'est pas la suite chronologique de L'Institut des Benjamines mais un recueil d'histoires retraçant une partie de la saga du point de vue de deux personnages secondaires, Henry the Horse et James Kite. James est le mari d'Aglaé, la femme qui tua le tyran. Henry est un cheval et son fidèle ami. La même partie donc, avec de nouvelles cartes.
JACKPOT. S'il diffère des tomes précédents par son mode de narration et sa construction en sauts de puce temporels, ce nouvel opus est une pierre de choix dans la cathédrale que bâtit, sans avoir l'air d'y toucher, Anne Simon. Il a l'avantage de décaler le regard et donc de préciser les flous, d'ajouter du paysage et d'offrir à l'insouciance première de la série une profondeur solide. Il vient renforcer, par le croisement des histoires et l'enrichissement de l’univers, une ambition désormais assumée par l'autrice d'une œuvre ultra cohérente au propos fourni.
MAROTTES. Ainsi, en multipliant les récits et les époques, Anne Simon parvient dans ce tome à réunir les thèmes qui lui sont chers, ceux déjà évoqués dans ses livres précédents comme ceux à venir : la misogynie, le capitalisme débridé, le spécisme, l'alcoolisme et tutti quanti. Condensé royal de ses réflexions, Henry, James et les autres est aussi un tome où le dessin subtil d'Anne Simon peut montrer ses multiples facettes. Sombre, folâtre, timide et grandiose, l'art de l'autrice se déploie en noir et blanc et en couleurs pour un plaisir des yeux toujours rafraîchi. Vite, la suite.
Henry, James et les autres. Par Anne Simon. Misma, 144 p., 20 €.
En route pour BD Colomiers !
Dès vendredi, BoDoï sera présent au festival BD Colomiers (c’est dans la métropole toulousaine) pour vous faire vivre l’événement et notamment ses expositions. Si vous cherchez bien, vous y croiserez Natacha et Benjamin. Mais si vous n’y êtes pas, vous pourrez toujours saliver devant le programme et devant nos reportages dans les expos.
Ah, et comme on parlait juste au-dessus des Contes du Marylène d’Anne Simon, on ne saurait que trop vous conseiller l’épisode du podcast de BD Colomiers, “La Peau de l’ours.e”, qui fait un tour dans l’atelier de l’autrice.
Un auteur, une planche
Commenter une planche, c’est commencer à entrer dans une œuvre.
Le duo Atelier Sentô nous avait emballés avec le premier tome de Tokyo Mystery Café. Pour BoDoï, il nous en décrypte une planche vertigineuse.
Propos recueillis par Rémi I.
“Cette page de Tokyo Mystery Café est importante, car elle pose le décor et lance l’action : Nahel est un jeune Français qui vient de débarquer au Japon pour devenir mangaka, et on suit ici ses premiers pas à Akihabara, le quartier des otakus et de la pop culture.
C’est Camille, notre éditrice, qui a eu l’idée d’ouvrir cette page avec une grande case en plongée sur les immeubles d’Akiba. C’était un challenge, car nous avions déjà visité ces rues, mais en marchant, pas en volant ! Pour avoir une idée de ce qu’il y avait sur le toit des immeubles, nous avons cherché des images satellites et les avons mixées à nos photos afin d’obtenir le point de vue recherché.
Pour ce projet, nous avons passé deux mois en repérage à Tokyo et le cheminement que suit notre personnage dans cette page, c’est un peu le nôtre. Comment ne pas se sentir déboussolé au milieu de toutes ces enseignes colorées ?
Des amis mangakas nous ont fait remarquer qu’on n’avait peut-être pas le droit de dessiner les vraies enseignes des magasins. On était embêtés, car elles sont vraiment emblématiques (et on n’avait pas trop envie de recommencer le dessin). Au final, on a décidé d’intervertir des lettres çà et là sur les logos. Si vous visitez Akiba, vous pourrez jouer au jeu des différences.
Dans les dernières cases, Nahel passe dans l’envers du décor et va peu à peu découvrir ce qui se cache derrière les façades colorées. Cette histoire, c’est aussi un polar, alors attendez-vous, comme lui, à de nombreuses surprises...”
Tokyo Mystery Café #1 La disparue d’Akiba. Par Atelier Sentô. Dupuis, 80 p., 16,50 €.
Une histoire, et au lit !
Focus sur une publication destinées aux enfants.
Par Benjamin Roure.
Il est minuscule, mais trop mignon avec ses poils orangés et ses petits yeux interrogateurs. Franchement, même si on n’est pas trop branché animal de compagnie, difficile de résister au Mini Chien de Mona Granjon. Dans ce grand album aux couleurs flash, l’autrice de la géniale BD Demi-pensionnaires joue avec les échelles et les points de vue : comment voit-on le monde des adultes quand on a la taille d’un escargot, mais qu’on peut cohabiter avec eux comme un compagnon tout doux ? C’est drôle, attachant, lumineux, et c’est un très bel objet. Ouaf !
Le Mini Chien. Par Mona Granjon. Les Fourmis rouges, 32 p., 17 €.
Pour ou contre
Parce qu’à BoDoï, on n’est pas toujours d’accord.
La Révolte sans précédent, de Guillaume Meurice et Sandrine Deloffre. Dargaud, 48 p., 13,50 €.
POUR : Natacha Le Fauconnier
Tout commence par l’abandon d’un chien. Doté d’une confiance aveugle envers ses maîtres, Fristouille est persuadé qu’ils vont revenir le chercher (spoiler : non). Des animaux de la forêt l’accueillent dans leur bande de révoltés contre les humains, appelée la Meute. À sa tête : Didier, le raton-laveur, épaulé par Jean-Louis le renard, Michel le bonobo et Catherine la licorne. Très motivée, la Meute multiplie les actions : pétition, posts sur les réseaux, tags dans les rues, saccage d’œuvres d’art à la peinture… Mais tout échoue, tel un dauphin sur une plage de l’île de Ré (en beaucoup plus drôle).
Sous couvert d’une bande dessinée rythmée par les gags, Guillaume Meurice et Sandrine Deloffre dénoncent les maltraitances animales dans un récit qui tient la route en n’épargnant ni les humains ni les hérissons. Fervents défenseurs de la cause animale, le duo d'humoristes (de radio pour l'un, de BD pour l'autre) donne la parole à ceux que l'on entend pas et qui sont pourtant les premiers concernés. Des pages hautes en couleurs au dessin très accessible pour sensibiliser le public (dès 13 ans) et peser dans ce combat d'actualité face aux lobbies de la chasse ou des industries agro-alimentaires, très actifs auprès du Parlement.
CONTRE : Oliver Pratt
J’attendais beaucoup de cette BD, trop sûrement... Pas tant au niveau du dessin de Deloffre, qui fait le taf mais que j’ai toujours trouvé laid, mais entre elle et Meurice, j’espérais un peu de fond et d’humour. Pas de bol, il n’y a ni l’un ni l’autre dans leur oeuvre commune.
Le fond se limite à “les humains font de la merde avec les animaux et l’écosystème” et “les flics c’est tous des méchants”. Ça enfonce des portes grandes ouvertes et ça manque cruellement de subtilité. La BD s’adressant en premier lieu à des gens déjà convaincus, c’est d’une paresse inexcusable.
Subtilité toujours avec l’humour... Les vannes sont soit lourdes, soit répétitives, soit les deux. Entre le renard pas si futé, le raton laveur qui, non, ne porte pas de masque, et le bonobo qui veut baiser une case sur deux, la gênance initiale devient lassitude puis énervement. Et comme j’aime bien les auteurs, j’espère vraiment que c’est un raté de bonne foi, parce que l’alternative, c’est qu’ils se sont foutu de la gueule des lecteurs (ce qui serait peut-être la meilleure vanne du bouquin).
Radar alternatif
Un regard perçant sur la bande dessinée indépendante et alternative.
Par Benjamin Roure.
Une trouvaille. Une pépite. Les éditions Tanibis nous avaient déjà fait le coup en allant dénicher les strips surréalistes du Bus de Paul Kirchner. Cette fois, elles ont mis la main sur un album surprenant et littéralement explosif de Raymond Briggs, formidable dessinateur britannique (1934-2022), célèbre pour son personnage hivernal de Snowman.
Loin de la tendresse de son Bonhomme de neige, Raymond Briggs dessine ici une charge anti-prolifération nucléaire, en mettant en scène un couple d’âge mûr se préparant à une attaque atomique, et la subissant. Observant à la lettre les consignes gouvernementales – absurdes et donc terrifiantes – pour se protéger du souffle d’une explosion (s’éloigner des fenêtres, check) et des radiations (s’envelopper de papier et se terrer sous une planche, mais bien sûr), les deux personnages tout en rondeurs vont vivre en huis clos ces heures décisives de l’attaque du Royaume par les Soviétiques. Et tenter de garder un optimisme contraint, jusqu’à la fin. Déchirante.
Publié en 1982, dans un contexte de guerre froide bien tendu, le livre reçut un vrai succès outre-Manche. Et sa réédition en VF, dans une élégante version mettant parfaitement en valeur le style faussement naïf de Briggs, avec ses petites cases étouffantes, son texte désarmant et sa vision cauchemardesque, trouve aujourd’hui un écho d’actualité à même de faire passer un certain frisson.
Quand souffle le vent. Par Raymond Briggs. Traduction: Patrick Marcel. Tanibis, 48 p., 17 €.
Conseil d’ami
Le coup de cœur d’une autrice ou d’un auteur de bande dessinée pour un album.
David Wautier, auteur du très beau La Tempête, vous conseille Le Petit Monde de Kabocha, de Daisuke Igarashi (Le Renard doré).
“Quand on est auteur de bd, il faut être curieux. On lit toute sorte de livres. Il y en a qui sont passionnants, mais dont l'univers est très éloigné du nôtre. Et puis parfois, c'est plus rare, il y a des livres qui nous parlent directement. Comme si on était de la même famille. C'est le cas du Petit Monde de Kabocha.
Sous la forme de récits courts, on y suit les tranches de vie du chat Kabocha et de son maître. Au fil des jours, des saisons, dans cette petite maison de campagne, le félin va rencontrer des animaux, explorer le toit et les environs. Ce qui peut émerveiller... ou angoisser.
Les dessins de Daisuke Igarashi sont un régal. Et on voit qu'il connaît les chats ! D'ailleurs, on peut supposer que tout soit (entièrement ?) autobiographique.
Si vous avez déjà eu des chats, nul doute que ce livre vous rappellera des souvenirs. Un manga qu'on lit et relit, par petits morceaux. Une inspiration pour moi. Et – je l'espère – un beau moment de lecture pour vous.”
À (re)lire sur le site….
Notre grande sélection de BD jeunesse (le top du top pour les petits).
Dernières bonnes pioches :
Les Navigateurs, de Serge Lehman et Stéphane de Caneva (Delcourt)
La Chiâle, de Claire Braud (Dupuis/Les Ondes Marcinelle)
Doctor Strange : Fall Sunrise, de Tradd Moore (Panini)
Mitsuo #1, de Jérôme Hamon et Gijé (Le Lombard)