BoDoï, la newsletter : chien VS ptérodactyle
Que lit-on cette semaine ? Et qu'évite-t-on ? L'équipe de BoDoï vous dit tout.
En trois mots
Ou comment tenter de vous convaincre de lire un album en moins de temps qu'il ne faut pour dire "Mille milliards de mille sabords".
Par Guillaume Regourd.
JEU DE MAINS. À Neo Novena, Ari Nassar est une légende de la police. Ce vétéran a déjà mis sous les verrous le sinistre One Hand Killer. Deux fois ! D'abord l'original, puis son imitateur. Mais alors qu'Ari s'apprête à prendre sa retraite, un nouveau corps démembré est retrouvé. Sur la scène de crime, un mur barbouillé d'un code indéchiffrable et une empreinte de main, signatures du funeste serial killer.
JEU DE MIROIR. En miroir de l'enquête menée par Nassar, on suit le parcours de Johannes, jeune doctorant qui se réveille systématiquement sur les lieux des meurtres de la Main. The One Hand and The Six Fingers met en regard l'itinéraire de ces deux hommes, enquêteur et criminel présumé, lancé dans un jeu du chat et de la souris passionnant dans une ville futuriste et labyrinthique où cohabitent humains et robots (les “rouages” ou “clogs” en VO) sous un brouillard de pollution et une pluie battante. Vraie réussite que cette atmosphère poisseuse qui évoque un Blade Runner filmé par le David Fincher de Seven.
DOUBLE JEU. Particularité de ce récit : il est divisé en deux séries parallèles, confiées à deux équipes artistiques. Ram V et Laurence Campbell, côté Ari, optent pour du hard boiled rugueux avec un trait granuleux à la Michael Lark et Sean Phillips. Dan Watters et Sumit Kumar, côté Johannes, masquent sous une approche plus ronde des embardées cauchemardesques à la Jeff Lemire/Andrea Sorrentino. Un vrai challenge éditorial d'abord publié sous forme de feuilleton numérique et que Urban propose en 5 tomes format souple, avant une intégrale cartonnée promise pour plus tard. Quel que soit le format, difficile de résister à ce page turner aux rebondissements hallucinants.
The One Hand and The Six Fingers. Par Ram V, Laurence Campbell, Dan Watters et Sumit Kumar, Urban Comics, 5 x 72 p., 7,90 €.
Radar alternatif
Un regard perçant sur la bande dessinée indépendante et alternative.
Par Benjamin Roure.
Parmi les meilleures séries jeunesse de ces dernières années, Pipistrelli revient un troisième opus aussi intelligent que bouleversant. On y retrouve Olive Pipistrelli et ses amis, très occupés à jouer, cuisiner, blaguer, vivre au rythme des saisons au coeur de la forêt. Cependant, au sein de leur petite bande, la ninja des bois Minuit ressent l’appel du départ. Ce n’est pas qu’elle n’aime pas ses copains de tout son être, mais elle a besoin d’air, d’espace, de nouveaux horizons. Alors quand Minuit s’évapore, le coeur d’Olive se déchire. Et elle part à sa recherche.
Avec sa ligne d’une espiègle finesse, ses mises en page en toute liberté et ses personnages plus profonds qu’ils en ont l’air, Charlotte Pollet aborde des thèmes délicats et forts – la dépression, le besoin de solitude, l’importance d’écouter les attentes de ses proches. Une démarche inédite dans la bande dessinée pour enfants, traitée avec la légèreté et l’imaginaire nécessaires pour résonner longtemps dans le coeur des petits comme des grands.
Pipistrelli T3 - Cap sur Minuit. Par Charlotte Pollet. Biscoto, 88 p., 16 €.
La couv’ qui claque
Par Maxime Gueugneau.
Le Retour. Par Antoine Cossé. Cornélius, 96 p., 24,50 €.
Claire. C'est en tout cas ce que souhaitait Antoine Cossé pour la couverture de son dernier album, Le Retour. Un vrai choix, puisqu'on peut voir en quatrième de couv, l'image un temps envisagée pour en faire la une, composée d'éléments disparates superposés. À la Hollywood. Le fait est que nous sommes dans nos chaussons dans ce salon. En fond, une fenêtre ouverte sur un ciel couleur d'aube ou de crépuscule duquel se détachent, en ombres chinoises, un jardin et un ptérodactyle. Face à nous, une femme enceinte, dos tourné à la fenêtre, tandis qu’autour d’elle des personnages dans une ombre rougeâtre scrutent ce qui se déroule au dehors. Descendant du haut de la page, deux rideaux entourent la fenêtre : la pièce va bientôt commencer.
La gestion du contraste et la puissance du noir chère au dessinateur de Metax percute au premier regard. Mais cette image, comme volée au quotidien, est plus que du marketing. Dans une ambiance qui relève plus des Bijoux de la Castafiore que de L'Oreille Cassée, Antoine Cossé nous raconte toute l'ambivalence de ce livre. Le Retour nous parle de l'arrivée des poilus sur leurs terres et de l'impossibilité pour tous de retrouver une « normalité ». Les va-et-vient que dessine cette couverture entre le dehors et le dedans, le front et l'arrière, la folle attente et l'apocalypse bien réelle se retrouvent dans cet intérieur qui se tourne vers l'extérieur, le terre-à-terre qui regarde le fantastique, les cyprès symboles de mort et la rondeur d'un ventre qui annonce que tout va continuer. Le ptérodactyle ? Ah oui. Bah évidemment que tout ça ne peut pas se passer sans heurts.
Non merci
Un album qu’on aurait mieux fait de ne pas lire.
Par Benjamin Roure.
Deux enfants trouvent un grand chien blanc, aussi beau et attachant que visiblement battu et triste. Une belle relation se noue entre eux, il est presque adopté par la famille, mais l’ombre de son propriétaire – un agriculteur qu’on dit fou et violent – plane sur eux : qu’adviendra-t-il s’il le réclame ?
En s’emparant du roman jeunesse d’Edward Van de Vendel publié à L’École des loisirs, après une précédente adaptation remarquée (Jusqu’ici tout va bien), Nicolas Pitz vise un public plus jeune, qui devrait facilement s’identifier à cette histoire interrogeant le bien-être animal et la force d’une relation entre un enfant et un chien. Mais au-delà des belles intentions, il ne reste qu’un scénario sans rebondissement avant la séquence finale, dégoulinant de bons sentiments déversés sur un mode terriblement premier degré. Le décalage semble énorme entre le dispositif narratif déployé – une BD solidement découpée et brossée – et le fond de l’intrigue, plat et mielleux.
Et pourquoi les bulles sont elles tracées en couleurs, dans des tons flashy jurant avec l’ensemble ? Un mystère au sein d’une BD suffisamment creuse pour ait le temps de s’attarder – et s’énerver – sur ce genre de détails…
Le Choix de Sam. Par Nicolas Pitz, d’après Edward Van de Vendel. Rue de Sèvres, 88 p., 15 €.
Dernière note pour Flûtiste
Par Mathilde Loire.
Au revoir, Flûtiste. Le collectif de micro-édition de BD et d'illustration a mis fin à ses activités en février dernier, lors du dernier Festival d'Angoulême. Léa Murawiec et Antoine Beauvois, qui pilotaient le projet, n'ont plus suffisamment de temps à lui consacrer, et préfèrent s'arrêter “en haut de la vague”. Et le font avec élégance : à Angoulême, sur le stand du collectif – le même où on a si souvent acheté leurs revues – on a trouvé un chouette fanzine imprimé pour l'occasion, 2012 Flutiste Forever 2025. Neuf pages dystopico-satiriques de Léa Murawiec, puis Antoine Beauvois, qui retracent avec enthousiasme treize ans de création, de dessin, de festivals, de jolies trouvailles, de sacrées galères et de choix formels ou éditoriaux. Et confirme ainsi que Flûtiste va nous manquer… Mais l'aventure était belle ! À noter: le collectif cherche à écouler le stock. Jusqu'en juillet, quelques livres sont encore disponibles en librairie, et quelques autres restent sur le site.
Par ici la sortie
La BD, ce n’est pas qu’en librairie.
L’épatante équipe de la médiathèque de la communauté d’agglo du bassin d’Aurillac a monté, à l’occasion de son chouette festival de la mi-mars, une belle exposition dédiée à Riff Reb’s. Autour de son travail sur les adaptations de romans maritimes (À bord de l’Étoile matutine, Le Loup des mers ou son futur Kernok le pirate) et de ses illustrations rock, l’exposition présente des dizaines d’originaux impressionnants, où la houle, le sel, le sang et la sueur émanent de l’encre des planches. Un beau voyage intitulé “Du rock et des vagues”, à découvrir jusqu’au 29 avril.
À (re)lire sur le site….
L’interview d’Emma Rios, pour son étrange Anzuelo.
L’interview de Jérôme Dubois, pour son troublant Immatériel.
L’interview de Jérémie Moreau, pour son palpitant Alyte.