BoDoï, la newsletter : obsession et faits divers
Que lit-on cette semaine ? Et qu'évite-t-on ? L'équipe de BoDoï vous dit tout.
En trois mots
Ou comment tenter de vous convaincre de lire un album en moins de temps qu'il ne faut pour dire "Mille milliards de mille sabords".
Par Benjamin Roure
DÉSIR. Dans son nouvel et long album, Nine Antico questionne son propre désir, de son obsession adolescente pour les garçons à sa sexualité décevante d’adulte. Par des allers-retours temporels, elle zoome sur des instants clefs de sa vie, toujours précise, jamais impudique, creusant toujours plus loin pour trouver des réponses à ses questions de plus en plus complexes et vitales.
VENISE. Dans un noir et blanc magnétique et une mise en scène d’une impressionnante maîtrise dans l’audace, l’autrice choisit pour décor récurrent Venise. La ville de Casanova, la capitale des amoureux, la cité-lagune inquiétante : un lieu aussi symbolique que propice à la révélation de secrets et traumas enfouis. Une des très belles idées narratives et graphiques de l’ouvrage.
AUTOBIO. Nine Antico avait démarré en BD avec Le Goût du paradis, la voilà qui revient à l’autobiographie, après avoir exploré la question du désir et de l’imagerie sexuelle dans Coney Island Baby notamment. Et elle va loin, très loin dans le récit de son “obsession”, dans la mise au jour cathartique d’un possible trauma. Elle finit par le trouver, elle n’était alors qu’une enfant. Clairvoyante autant que tâtonnante, Nine Antico ajoute alors une couche de réflexion à cet album aussi cérébral que sensitif, autour de l’intérêt du témoignage livresque. Admirable.
Une obsession. Par Nine Antico. Dargaud/Charivari, 292 p., 29,95 €.
La couv’ qui claque
Par Mathilde Loire.
Choisir une BD en librairie, c'est toute une affaire. Il y a celles qu'on nous a recommandées, celles de nos auteur·ices préféré·es, celles que les libraires ont adorées. Il faut feuilleter, tâter, observer, parfois chercher le résumé pour être sûr que ça va nous parler. Et parfois il y a la couv' qui nous attire plus que toute les autres, au point qu'on repose ce qu'on était venue chercher. La Vérité sur l'affaire D.B. Cooper, sortie chez Misma, est de celles-là. Est-ce le fond jaune flamboyant, la police d'écriture façon-journal-quotidien-très sérieux imprimée en très grande taille, le petit avion rose, la chorégraphie sécuritaire de l'hôtesse de l'air, ou le regard perçant de la femme brune ? Peu importe après tout, voilà une couv' qui intrigue, qui marque, et qui dit (presque) déjà tout de cet album déluré.
À savoir : une héroïne grognon-mais-fascinante, Dolorès, des vérités et contre-vérités, un avion important, un équipage malmené… Quant à cette grande maison rouge, soyez patient·es, elle a son importance ! La quatrième est tout aussi alléchante, avec ses vignettes façon feuilleton télé… Ce qui a achevé de nous séduire, c'est le résumé, un peu zinzin — un pirate de l’air a détourné un avion, a reçu une rançon de 200 000 $ puis s'est volatilisé, et une greffière de 38 ans est impliquée — et joliment écrit, avec des pleins et des déliés. On pense à Tom-Tom et Nana et aux dessins de Bernadette Després, à Vol 714 pour Sydney, aux films de Wes Anderson et de Pedro Almodovar. Et ce n'est pas l'intérieur qui nous contredira. Avec un style faussement naïf, des couleurs douces et un sens de l'humour bien à elle, Marie Boisson s'empare d'un cold case bien réel, y mêle un monde bien fictif, et brode un récit farfelu, aussi loufoque et accrocheur que le laissait supposer sa couverture.
La Vérité sur l’affaire D.B. Cooper. Par Marie Boisson. Misma. 208 p., 24 €.
Lire la critique de Benjamin sur Bodoi.info.
Et si on repartait en vacances ?
Par Maxime Gueugneau.
Usant de ruses peu subtiles – comme se couper les cheveux et mettre des lunettes – Marthe parvient à chiper la place d'un certain Titouan pour partir aux États-Unis avec un groupe de scouts. Or, le meilleur copain de Titouan ne se laisse pas berner. Mais, après tout, est-ce si grave si ce n'est pas le bon ami ? Marthe est drôle, courageuse et possède un but peu commun : gagner un concours de chiens. Une amitié naît et l'aventure peut commencer ! Premier album de BD jeunesse pour Clémence Sauvage dont le pétillant dessin se glisse comme le pied dans la chaussette de cet album aux répliques claquantes, aux personnages fort attachants et où interviennent – subtilement cette fois – de jolis messages sur le harcèlement, les clichés de genre et l'importance de l'amitié.
Chiwawow. Par Clémence Sauvage. Biscoto, 72 p., 15 €.
La Doux, un nouveau moulin à histoires pour les enfants
Par Romain Gallissot.
Voilà un nouveau petit ruisseau qui vient se jeter dans le grand océan des éditeurs de livres pour enfants. Fondées par Karine Leclerc et Sophie Chanourdie, toutes les deux bien connues du monde de l’édition jeunesse, les éditions La Doux arrivent avec une intention assumée : remettre auteurs et autrices au cœur de la création et casser les frontières entre les genres. Avec Bébé dedans bébé dehors, un imagier dessiné par Antoine Guilloppé, Merveilleux caca, documentaire que l’on doit au facétieux Mathis, ou encore Draculours, une BD tendrement effrayante signée Bérengère Delaporte, les premiers titres qui paraissent en cette rentrée confirment parfaitement ce positionnement. Un souffle neuf et joyeux pour la littérature jeunesse, à suivre de près !
Radar alternatif
Un regard perçant sur la bande dessinée indépendante et alternative.
Par Frédéric Hojlo.
Un accident dans une usine, une tentative d’assassinat, des négociations secrètes : quelque part en Scandinavie, le monde de l’industrie est en ébullition. Pourquoi ? Qui veut quoi ? Au fur et à mesure du récit, les questions s’enchaînent et le mystère s’épaissit. Manquerait plus qu’un Largo Winch pour démêler cet écheveau.
Sauf que… Ce récit est signé Erik Svetoft, et que son thriller est quelque peu déceptif. Mais loin d’être raté. Révélé par SPA (L’employé du moi, 2022), l’auteur suédois fascine autant par son sens de l’horreur, lugubre et déroutant à souhait, que par son dessin, fin, précis, et si évocateur. Apparemment absurde et d’une grande étrangeté, son univers se fonde sur l’apparition inexpliquée et perturbante d’éléments fantastiques souvent effrayants dans un quotidien des plus banals.
Une Volvo blanche séduira les lecteurices qui n’aiment pas être pris par la main et qui ne cherchent pas de solutions à tout. Digne du visionnage d’un David Lynch ou de la lecture d’un William S. Burroughs, l’immersion dans un ouvrage d’Erik Svetoft est une expérience à vivre. Et pousse à se questionner sur les limites de la bande dessinée, ce qui n’est pas la moindre de ses qualités.
Une Volvo blanche. Par Erik Svetoft (trad. Jean-Baptiste Coursaud), L’employé.e du moi, 336 pages en bleu & blanc, 29 €.
Côté comics
De la BD américaine pour celles et ceux qui n’ont que faire des super-héros.
Par Guillaume Regourd.
Nouvelle série pour Rick Remender (Deadly Class, Black Science…) et nouveau hit en puissance. Dans le premier tome des Sœurs Seasons, le scénariste musarde en chemin avant de donner la pleine mesure de son intrigue criminelle centrée sur une troupe de forains magiciens. Mais l’aventure au long cours qu’il esquisse pour les 4 frangines orphelines Spring, Summer, Autumn et Winter qui se saisissent de l’affaire, promet d’avoir du scope : il y a du Louisa May Alcott, du Hergé et du Mignola dans cette fresque retro sophistiquée, qui offre au très talentueux Paul Azaceta l’occasion de briller. Dans un style chatoyant d’inspiration art nouveau, aux antipodes de son boulot sur l’inquiétante Outcast, le dessinateur fait des miracles. Mention spéciale à une séance de course-poursuite de 24 pages (!) qui évoque autant le Tintin des BD que celui de Spielberg.
Les Sœurs Seasons #1. Par Rick Remender et Paul Azaceta. Urban Comics, 120 p., 20,50 €.
Non merci
Un album qu’on aurait mieux fait de ne pas lire.
Par Benjamin Roure.
Damian a économisé chaque sou de ses petits jobs à côté du lycée, et ça y est, il l’a : une “fleur des absents”, un objet qui lui permet d’invoquer une personne disparue, dont le fantôme pourra le côtoyer jusqu’à ce que la fleur fane. Il veut revoir sa maman décédée, mais se trompe et fait apparaître le fantôme d’une jeune fille, mystérieusement disparue plusieurs années plus tôt…
Attention, sortez les mouchoirs ! Ce pauvre Damian a non seulement perdu sa mère, mais en plus son père s’est remarié et l’a tout simplement abandonné. De surcroît, il est gay et ne sait pas comment gérer cela au lycée, ni comment approcher le beau Elijah. ll ne manquerait plus qu’il soit intolérant au gluten. Ajoutez à cela l’horrible destinée secrète de la petite fantôme, les révélations peu reluisantes sur la personnalité de la maman décédée et les vilains mensonges de la starlette du lycée, et on obtient une fiction adolescente tire-larmes aux bien trop grosses ficelles, sans véritable fond à part que c’est mal de mentir. Et le dessin ne rehausse guère l’ensemble, fade et lisse comme un webtoon. Les ados méritent mieux.
La Fleur des absents. Par John Moore et Neetols. Casterman, 192 p., 21 €.
Par ici la sortie
La BD, ce n’est pas qu’en librairie.
Dédiée à la BD alternative, la 13e édition de Formula Bula (Bande dessinée et plus si affinités) se tiendra à Paris (à Césure, dans le 13e) du 26 au 28 septembre. Avec notamment des expositions Aline Kominsky-Crumb ou Camille Potte, des rencontres, des ateliers, et une riche journée professionnelle. Toutes les infos sont là.
Affiche : Cizo









