BoDoï, la newsletter : un cauchemar et des revenants
Que lit-on cette semaine ? Et qu'évite-t-on ? L'équipe de BoDoï vous dit tout.
La couv’ qui claque (et qui résonne…)
Par Frédéric Hojlo.
Cauchemar. Par Pierre Ferrero. L’Employé du moi, 416 p., en couleurs et N&B, 23 €.
Un monstrueux et gigantesque personnage, zombi moustachu, envahit la couverture et la rue qu’elle représente. Sa main en putréfaction semble sortir du papier pour attraper le lecteur et le forcer à plonger dans ce Cauchemar. Le ciel noir strié de rouge, les feux et les fumées, le chaos général : tout confirme que le rêve est des plus désagréables.
Pour cette couverture à la composition si efficace, Pierre Ferrero s’est inspiré de l’ambiance d’une fin de manif houleuse. Il suffit de déplier la jaquette pour découvrir des détails et une perspective qui ne trompent pas : la ville est devenue un champ de bataille étouffant et effrayant. Mais les admirateurs de la culture graphique japonaise y verront aussi une subtile citation. Le dessinateur a savamment repris un triptyque d’estampes d’Utagawa Kuniyoshi intitulé Takiyasha, la sorcière et le fantôme du squelette réalisé vers 1844. La princesse Takiyasha y invoque un gashadokuro, yōkai ayant la forme d’un squelette géant, pour combattre la sorcière Mitsukuni.
Le menaçant gashadokuro inventé par Pierre Ferrero est, lui, très français. C’est un Pétain surpuissant, revenu d’entre les morts pour imposer un régime autoritaire où les nouvelles technologies sont au service des idées les plus rances. Réfugiés et militants de gauche sont ses cibles privilégiés. Flics porcins, éditorialistes zélés et influenceurs masculinistes sont ses sbires. Une fiction dystopique de haut vol… Pour combien de temps ?
En trois mots
Ou comment tenter de vous convaincre de lire un album en moins de temps qu'il ne faut pour dire "Mille milliards de mille sabords".
Par Benjamin Roure.
Ulysse et Cyrano. Par Xavier Dorison, Antoine Cristau et Stéphane Servain. Casterman, 176 p., 34,90 €.
GOURMAND. Début des années 1950, un jeune garçon de bonne famille quitte Paris avec sa mère, direction la campagne bourguignonne, avec deux objectifs : réviser son bac (c’est pas gagné) et laisser son père affronter des accusations de collaboration avec les nazis (c’est pas gagné non plus). Là-bas, il rencontre un ancien chef renommé et se découvre une vocation qui, hélas, ne colle pas avec le standing familial : la cuisine.
INTELLIGENT. On se régale dans les longues séquences de préparation de recettes, on salive devant cette évocation des grands plats de la gastronomie française, on hume les parfums de la guerre des anciens contre les modernes… Mais si on savoure autant cette fiction culinaire documentée, c’est que ses personnages sont fouillés et que leurs relations sont complexes – celle du héros Ulysse avec son père est touchante, celle de Cyrano, l’ex-étoilé colérique, avec les villageois frappante.
ÉLÉGANT. Le style réaliste de Stéphane Servain pourrait paraître raide au premier regard. Il n’en est rien : élégant, puissant, formidablement bien gratté dans les décors comme dans les visages, il se déploie avec force et éclat, sous une couverture lumineuse, dans le grand format édité par Casterman. Un peu cher, certes. Mais les amateurs de bonne bouffe et de grandes BD classiques s’y retrouveront.
Qui l’eût cru ?
Un projet saugrenu qui se révèle plutôt pas mal. On a le droit de se tromper, non?
Par Benjamin Roure.
Zorro - D’entre les morts. Par Sean Murphy (traduction : Benjamin Rivière). Urban Comics, 128 p., 19 €. Sortie le 21 juin.
Zorro revient en BD. Zorro, vraiment ? Don Diego de la Vega, la petite moustache, Tornado le cheval, Bernardo le serviteur muet, le nullissime Sergent Garcia, tout ça tout ça ? Oui, enfin presque. Tout est dans le presque, ici. Et dans l’auteur qui s’est emparé de ce personnage de roman, popularisé par une série télé pour enfants et maintenu en vie par Antonio Banderas au cinéma. Le brillant Sean Murphy, auteur de Punk Rock Jesus ou du chouette run White Knight de Batman, ne fait pas dans l’acharnement thérapeutique pour raviver le renard de Californie, mais opte pour un thriller musclé mâtiné de comédie. Avec un cheval, un chapeau et des épées, mais aussi des gros flingues, une héroïne (un peu trop) paumée, des bagnoles rutilantes et un enchaînement de séquences d’action dans un décor à la Desperado. Rien de révolutionnaire, mais une bonne fiction de genre, solidement troussée et dessinée avec classe.
Zorro est donc revenu, il est en forme, ça fait plaisir. Mais c’est comme un cousin baroudeur qu’on croise une fois tous les cinq ans à Noël : il est sympa, il se la raconte pas mal, mais c’est quand même toujours un peu la même histoire…
Une histoire et au lit !
Focus sur un album illustré pour enfants.
Par Benjamin Roure.
Zouzou au zoo. Par Hao Shuo. Éd. 2024, coll. 4048, 56 p., 12,90 €.
On avait adoré la série des Guides de survie de Hao Shuo, à mi-chemin entre BD et album illustré, délicieusement inventive et absurde. L’autrice chinoise revient avec un nouveau personnage singulier, Zouzou, un grand chien à poils très longs, qui va mettre une joyeuse pagaille dans un zoo. Gourmand, facétieux, maladroit et toujours curieux, il se fait coussin, ballon, serpillère ou peluche pour les animaux, pas toujours ravis qu’on leur vole la vedette ! Mais pour se faire des copains, il faut parfois se mettre en quatre ! Un chouette petit livre muet, à l’étrangeté revigorante.
Non merci.
Un album qu’on aurait mieux fait de ne pas lire.
Par Natacha Lefauconnier.
Marion. Par Binet et Marion Larat. Dargaud, 48 p., 12,50 €.
L’album s’intitule Marion. C’est la moindre des choses, vu qu’elle est la protagoniste principale et la co-scénariste du récit. Mais Binet (ou l’éditeur) n’a pas jugé utile de la valoriser sur la couverture : elle apparaît en arrière-plan, en fauteuil roulant et la tête enrubannée de bandage, tandis qu’un P.-D.G. de laboratoire pharmaceutique et un avocat sont au premier plan, ce dernier masquant même l’initiale du prénom-titre. Soit. Peut-être les 38 planches du récit réservent-elles une bonne surprise ? L’espoir fait vivre. Surtout lorsque, comme Marion, on fait un AVC à l’âge de 18 ans (sans suspense, elle s’en sort). Rebondissement (annoncé sur le bandeau) : elle apprend un an plus tard que sa pilule contraceptive serait à l’origine de l’accident. La plainte déposée par la famille n’aboutit pas. Oups, on a dévoilé le scénario en trois phrases.
Heureusement, le dessin de Christian Binet… Ah non, au temps pour nous, c’est du crayonné au stylo bille. L’impression en quadrichromie ne se justifie que pour deux cases de paysages réalistes et quelques cartouches imprimés en bleu et rouge pour un effet 3D sans lunettes, censés reproduire ce que voit Marion (et qui donne l’impression de voir flou).
Hormis le fait d’avoir été touché par la lettre se sa fan, qui lisait les Bidochon sur son lit d’hôpital, on ne voit pas bien l’intérêt pour Binet d’avoir signé cet album. Sauf peut-être de lancer la carrière de son petit-fils de 6 ans, qui réalise six cases et qu’il remercie à la fin ?
Radar alternatif
Un regard perçant sur la bande dessinée indépendante et alternative.
Par Benjamin Roure.
Les Fantômes de Syracuse. Par Alexandre Kha et Jean-Pierre Duffour, Tanibis, 120 p., 20 €.
Matteo est mycologue et il est en retard à un colloque. Dans sa ville natale, Syracuse, où l’attendent les bons et les mauvais souvenirs, les fantômes du passé. En route, il croise le Diable, qui lui dérobe son âme. Et ce n’est que le début des soucis…
À la lecture de ces Fantômes de Syracuse, l’association de Jean-Pierre Duffour et d’Alexandre Kha s’impose comme évidence : car le premier et le second avaient développé jusqu’ici des oeuvres fortement oniriques voire surréalistes, dans des registres singuliers mais assez proches. Ensemble, ils poussent la science des songes et la narration absurde encore plus loin, dans un récit foutraque et funèbre à base de mafia, de champignons psychotropes, d’amitiés déçues et d’amour perdu. Le tout dans le décor d’une Sicile fantasmatique qui se désintègre. On pourra décrypter la symbolique de telle page, de tel dialogue. Mais on pourra aussi tout simplement se laisser porter par ce faux polar aux accents fantastiques, cette cavalcade étrange en forme de rêve éveillé, au graphisme limpide et hors du temps.
Des artistes se Cara-patent d'Instagram
Par Mathilde Loire.
Ces dernières semaines, de nombreux artistes, illustrateur·ices et auteur·ices de BD ont annoncé leur départ d'Instagram. En cause, les nouvelles règles de Meta : à compter du 26 juin, toutes les photos et publications publiques pourraient être utilisées pour entraîner son intelligence artificielle. Dans un mail, l'entreprise affirme que les utilisateurs peuvent s'opposer à l'utilisation de ces informations. Et de renvoyer vers un formulaire, dans lequel il faut motiver sa demande… Rien qui ne donne confiance aux artistes.
Il y a celles et ceux qui suppriment leurs comptes Meta, comme l'autrice norvégienne Nora Dåsnes. Lewis Trondheim ou Alfred suppriment leurs dessins mais conservent un compte.
D'autres, comme l'Allemand Christoph Niemann, ont annoncé avoir rejoint Cara. Mi-site de portfolio, mi-réseau social pour artistes, la plateforme promet de filtrer les images créées par IA. Et a mis en place un outil qui doit protéger les artistes de l'imitation de leur œuvre par une intelligence artificielle.
Les 6 albums sportifs du moment
Mais ne vous fatiguez pas trop quand même.
En selle Sakamichi !. Par Wataru Watanabe (Kurokawa/L’Équipe).
La Diplomatie du ping-pong. Par Alcante et Alain Mounier (Delcourt).
Suzanne. Par Tom Humberstone (Ankama)
Les Jeux Olympiques (Le fil de l’Histoire raconté par Ariane et Nino). Par Sylvain Savoia et Fabrice Erre (Dupuis).
Plus vite, plus haut, plus sport !. Par Julien Hervieux et un collectif de dessinateurs et dessinatrices (Fluide Glacial).
Hors jeu (nouvelle édition). Par Matthieu Chiara (L’Agrume).
À (re)voir sur le site….
Nos reportages dans les expos des Rendez-vous de la BD d’Amiens. Celle sur l’oeuvre de Guillaume Singelin (Frontier, P.T.S.D., The Grocery…) était explosive. Celles sur Ana et l’Entremonde et La Nef des fous étaient pas mal non plus.