BoDoï, la newsletter : vous avez dit minimaliste?
Que lit-on cette semaine ? Et qu'évite-t-on ? L'équipe de BoDoï vous dit tout.
En trois mots
Ou comment tenter de vous convaincre de lire un album en moins de temps qu'il ne faut pour dire "Mille milliards de mille sabords".
Par Benjamin Roure.
MINIATURE. Les Julys (prononcez “djoulaïze”) sont des toutes petites créatures, à l’allure de gamines en capuchon et bottes de pluie, qui naissent dans des coquilles sous la mer et s’épanouissent dans les sous-bois, les collines, les prés. Et surtout dans les divagations d’un père et son fils profitant des paysages sans regarder l’heure.
NATURE. Pas d’intrigue ni de rebondissements dans ce gros livre, mais une immersion en pleine nature, qui réchauffe le corps comme un soleil de juin, et aère l’esprit comme un vent de septembre. Un zest d’absurde, une ode à la contemplation, et un joli portrait d’une relation père-fils, à la fois cérébrale (sur l’importance vitale de l’imagination) et sensible (le rapport à la nature, encore une fois).
HACHURES. Nylso est un artiste atypique, qui griffonne sans relâche ses menues planches de sa plume acérée, hachurant patiemment écorces, ombres et bourrasques sans jamais défaillir. Si l’on peut être refroidi par ce trait à fleur de peau ou ces mises en page minimalistes, il faut persister un peu et se laisser gagner par son ton unique et poétique, qui dit beaucoup avec très peu, et emmène la bande dessinée vers des contrées inexplorées.
Les Julys. Par Nylso. Misma, 312 p., 24 €.
Un auteur, une planche
Commenter une planche, c’est commencer à entrer dans une œuvre.
Sylvain Bordesoules parle de la page 102 de son nouvel album, Azur Asphalte, dont la critique est à lire sur le site (spoil : on adore!).
Propos recueillis par Natacha Lefauconnier.
“J’aime bien travailler les moments flottants dans le récit, les pensées silencieuses, les moments où mes sœurs prennent soin d’elles : Mélissa qui se recoiffe, ou sur cette planche, Candice dans sa salle de bains. Je me souviens que nous n’étions que tous les deux, les enfants n’étaient pas là. Je lui demandais de faire des poses qui me serviraient pour les séquences suivantes. Au moment où j’ai saisi ce dessin, elle jetait un œil rapide à son reflet dans le miroir, pour vérifier que « ça allait ».
Cette planche symbolise aussi mon intention avec cet album : montrer mes sœurs telles qu’elles sont, dans leur environnement. En l’occurrence ici, avec le bazar dans la salle de bains, le bandeau rose que Candice met pour se maquiller, le déo Brut de François. Quand je regarde cette planche, je retrouve ma sœur telle qu’elle est, dans son palais intime. Je lui avais bien recommandé de ne surtout rien ranger pour la séance de poses ! Chez Mélissa, c’est ennuyeux à dessiner, tout est propre, il n’y a que du carrelage blanc !”
Azur Asphalte. Par Sylvain Bordesoules. Gallimard BD, 168 p., 25 €.
Non merci
Un album qu’on aurait mieux fait de ne pas lire.
Par Benjamin Roure.
Julia la seule. Par David Boriau et Yuna Park. Dupuis, 80 p., 15,50 €.
Julia arrive dans un nouveau lycée et c’est parti pour les clichés : les pimbêches stylées la harcèlent, elle flashe sur le type étrange de la classe et sympathise avec l’intello qui a évidemment des grosses lunettes et le look d’une mamie (coiffure et jupe comprises, pitié…). Bien sûr, intervient alors la dimension fantastique : Julia a des secrets et des pouvoirs, et le garçon louche du début se révèle être un apprenti ghostbuster. Et on s’arrête là pour ne pas gâcher le reste, même si, franchement, il n’y a pas grand-chose d’autre.
C’est bien là l’un des gros soucis de ce one-shot. Passé le début avec ses lieux communs, acceptables dans la fiction mainstream pré-ado, le reste de l’intrigue est si précipité que le suspense existe à peine, sans parler de la faiblesse des révélations comme de la psychologie des personnages. Ajoutez à cela une mise en scène bancale, avec des découpages, cadrages et dialogues trop souvent maladroits, et vous obtenez un accident éditorial quasi total. Dommage, car il y avait à la base une idée potentiellement intéressante et un graphisme séduisant… C’est comme si le projet s’était sabordé tout seul en n’optant pas pour un développement sur 2 ou 3 tomes, afin d’asseoir l’univers et de faire monter la tension. Désolé Julia, mais tu resteras toute seule, sans nous.
Une histoire, et au lit !
Focus sur une publication destinée aux enfants.
Par Benjamin Roure.
Ce Gros Livre est tout petit. Il tiendrait aisément dans une poche, avec un autre pareil, même. Ses pages sont pleines de dessins minimalistes et de textes courts. Mais il regorge d’inventivité et ouvre en grand les possibles. On y trouve par exemple un super-héros super content, des petits chiens dont il faut se méfier, une salle de classe surprenante, un cochon qui découvre son talent, un pêcheur et un poisson presque champions de ski nautique. Et bien d’autres choses qui font sourire, rêver, s’esclaffer, s’attendrir. Ce Gros Livre est tout petit, mais il apporte un immense réconfort et une gigantesque joie, car il dit que rien n’est impossible du moment qu’on prend le temps de jouer à imaginer.
Le Gros Livre. Par Delphine Perret. Les Fourmis rouges, 184 p., 13,90 €.
Les éditions Rouquemoute lancent un appel
La petite maison d’édition nantaise Rouquemoute est au plus mal. Trésorerie à sec, plus qu’un salarié et demi contre 4 il y a un an… Victime de l’inflation qui fait que les lecteurs ne peuvent plus se payer autant de BD qu’avant, de la surproduction générale qui invisibilise les albums atypiques, l’éditeur indépendant tire la sonnette d’alarme mais ne baisse pas les bras. Il a ainsi relancé la création éditoriale cette année, persuadé que c’est par ses livres qu’il se sauvera, comme son originale collection de bandes dessinées à poster (BDàP, avec des signatures comme Cy ou Lewis Trondheim) ou sa trilogie sur le HellFest.
Maël Nonet, fondateur de Rouquemoute, en appelle aux lecteurs et libraires, avec une remise en avant de son catalogue. Tout est expliqué ici.
Dessin: Thibault Soulcié pour Rouquemoute
Radar alternatif
Un regard perçant sur la bande dessinée indépendante et alternative.
Par Frédéric Hojlo.
« Une saucisse sur le toit » en ouverture. « Tout change tout » en conclusion. Autrement dit : rien ne change, l’absurde règne. Un résumé cryptique de la condition humaine ? Ainsi pourrait-on interpréter le nouvel ouvrage de Moolinex. C’est une possibilité parmi un million. Chacun choisira la sienne.
Seule certitude : Moolinex est un fin plasticien. Si la portée peut échapper, la forme est idéale. Couleurs, traits et signes sont associés de telle façon que chaque dessin heurte la rétine et s’imprime dans le cerveau, quelle qu’en soit la signification. Et même en l’absence d’une quelconque signification.
Habitué du foisonnement, du détournement, de l’ironie, Moolinex se fait cette fois plus sec. Pas encore minimaliste, mais davantage économe de ses moyens – quatre couleurs et une ligne noire plus ou moins épaisse et faussement baveuse – pour mieux interroger la sacro-sainte interaction entre texte et image, il s’affranchit de toute référence et crée son propre langage. Le rêve de tout artiste.
Tout change tout. Par Moolinex. Les Requins Marteaux, 144 p., 33 €.
Conseil d’ami
Le coup de cœur d’une autrice ou d’un auteur de bande dessinée pour un album.
Par Xavier Coste (propos recueillis par Benjamin Roure).
Xavier Coste vient de publier Journal de 1985, suite au 1984 de George Orwell (Sarbacane). Il vous conseille Ginseng Roots de Craig Thompson (Casterman).
“Je dois être honnête, j’y allais à reculons. Je ne suis ni intéressé par l’autobiographie, ni par le sujet de la culture du ginseng aux États-Unis… mais le livre de Craig Thompson m’a embarqué, et l’effet a été d’autant plus fort que j’étais réticent au départ. J’ai été très étonné que l’auteur de Blankets, qui m’avait beaucoup plu, revienne sur le devant de la scène avec un livre sur l’agriculture ! Mais avec sa narration en renouvellement permanent, sa colorimétrie réduite qui me rend jaloux, et sa façon touchante de raconter ses difficultés et ses passages à vide, il m’a bluffé. Cela me donne envie d’aller plus loin dans mon propre travail, c’est une lecture très nourrissante.”
À (re)lire sur le site….
Derniers coups de cœur :
L’Héritage fossile, de Philippe Valette (Delcourt)
Randy Shilts et la fake news du patient zéro, de Clément Xavier et Héloïse Chochois (Glénat)
D’or et d’oreillers, de Mayalen Goust d’après Flore Vesco (Rue de Sèvres)
L’Enfant en moi #1-4, de Aoi Mamoru (Kana)